Marc Balissat

1. La commission...avant le comité (1928-1948)

L'ingénieur bâlois Heinrich Gruner (1873-1947), déjà réputé pour la construction du barrage de Laufenbourg, puis auteur du projet du barrage de Montsalvens, réunissait pour la première fois le 2 octobre 1928 cinq personnalités du domaine de l'ingénierie pour fonder la Commission Suisse des Barrages, l'ancêtre en quelque sorte du Comité National Suisse des Grands Barrages (CNSGB). Il s'agissait de

  • Hans Eggenberger (1875-1958), ingénieur en chef des Chemins de Fer Fédéraux à Berne;
  • Eugen Meyer-Peter (1883-1969), professeur de travaux hydrauliques à l'EPFZ et représentant de l'Association suisse de l'aménagement des eaux (SWV);
  • Max Ritter (1884-1946), professeur de statique et de béton armé à l'EPFZ;
  • Alfred Stucky (1892-1969), professeur de travaux hydrauliques à l'EPUL (aujourd'hui EPFL);
  • Alfred Zwygart (1886-1972), ingénieur en chef des Forces Motrices du Nord-Est de la Suisse (NOK) et représentant de la SIA.


Figure 1: Barrage à double voûte de Hongrin, construit de 1966 à 1971

Les buts poursuivis par cette commission étaient, selon ses statuts, de s'occuper des problèmes liés aux barrages et de collecter des informations et des expériences sur ces constructions et leur exploitations.

Quoi de plus normal si l'on considère que la Suisse pouvait s'enorgueillir d'avoir fait déjà œuvre de pionnier en Europe avec la réalisation des barrages de Montsalvens (1920, première voûte de type Jorgensen en Europe), de Schräh (1924, pendant quelques années le plus haut barrage-poids du monde), voire de Spitallamm (à cette époque en cours de construction) de type poids, mais dont la forme arquée s'inscrit avec détermination, tel un puissant verrou au milieu des granites de l'Aar.

A ce petit groupe de fondateurs vinrent s'adjoindre au fil des ans (par ordre alphabétique):

  • Jean Bolomey (1879-1952), professeur de matériaux pierreux à l'EPUL,
  • Otto Frey-Baer (1909-1973), ingénieur en chef de MotorColumbus SA, Baden,
  • Henri Gicot (1897-1982), ingénieur-conseil à Fribourg,
  • Henri Juillard (1896-1985), ingénieur des Forces Motrices de l'Oberhasli, Innertkirchen BE,
  • Arnold Kaech (1881-1965), ingénieur en chef des Forces Motrices de l'Oberhasli, Innertkirchen BE,
  • Maurice Lugeon (1870-1953), professeur de géologie à l'Université de Lausanne,
  • Ernst Martz (1879-1959), président de la Société Suisse des Fabricants de Ciment, Chaux et Gypse, Zurich,
  • Walter Schurter (1889-1965), inspecteur fédéral en chef des travaux, Berne,
  • Mirko Roš (1879-1962), professeur de technologie des matériaux à l'EPFZ,
  • Mirko Roš jun. (1913-1968), ingénieur-conseil à Zurich.

Rappelons qu'en 1928 également venait de se fonder la Commission internationale des grands barrages (CIGB) qui émanait de la Conférence mondiale de l'énergie (CME/WPC). La Commission suisse des barrages allait représenter dès 1930 le Comité national suisse de la CME/WPC auprès de la CIGB.

La crise économique du début des années 30 conduisit en Suisse à une régression dans la construction des aménagements hydroélectriques. On chercha par ailleurs à procéder à certaines économies de matériaux sur les nouveaux ouvrages. C'est ainsi que furent construits les premiers barrages à contreforts de Suisse (Dixence, 1935, et Lucendro, 1947). Le second barrage commencé pendant les années de guerre allait créer une controverse qui remplit les procès verbaux des séances de la Commission suisse des barrages durant plusieurs années.

En effet, le barrage de Lucendro comportait des contreforts de type Noetzli, sensiblement plus minces que ceux du barrage de la Dixence. Or le bombardement des barrages-poids de Möhne et Eder en Allemagne par la Royal Air Force (mai 1943) allait provoquer auprès des autorités civiles et militaires de graves doutes quant à la vulnérabilité des barrages face aux actes de guerre ou de sabotage. Alors que le Département militaire fédéral voulait exiger partout une épaisseur minimum des ouvrages, ce qui aurait sonné le glas des barrages à contreforts, la Commission était d'avis qu'aucun barrage n'est absolument invulnérable, ceci surtout pas après l'engagement des bombes atomiques américaines sur le Japon (1945), et que la solution du problème devait se trouver dans une combinaison d'un abaissement de la retenue et d'une épaisseur minimum du barrage au-dessous de cette cote. La stabilité latérale des contreforts du type Noetzli fut également mise en cause. Finalement le barrage de Lucendro fut mis en service en 1947, mais il fallut le renforcer après coup par des étrésillons horizontaux placés entre ses contreforts.

La seconde guerre mondiale terminée, les échanges internationaux reprirent. C'est là qu' Heinrich Gruner, déjà atteint dans sa santé, réalisa qu'il fallait transformer le petit club de spécialistes en un comité national disposant de moyens financiers plus importants. Il incita son ancien collaborateur Henri Gicot à aller de l'avant et à fonder le CNSGB. Celui-ci tint sa séance de fondation le 20 décembre 1948. Heinrich Gruner était décédé une année auparavant.


Figure 2: Le barrage-poids de la Grande Dixence, construit de 1951 à 1961.A retenue vide, on aperçoit l'ancien barrage à contrefort de la Dixence (Photo H. Preisig 1996)

2. Les premières années (1948-1955)

Les participants à l'acte de fondation du CNSGB sont les membres de la Commission suisse des barrages auxquels se sont joints des représentants de l'industrie de la construction (9 entrepreneurs), de sociétés d'électricité (11 sociétés) et de l'industrie des machines (4 sociétés). Le comité s'organise selon les structures que nous lui connaissons pratiquement aujourd'hui encore, à savoir:

  • un bureau de trois personnes (président, vice-président, secrétaire-caissier),
  • une commission scientifique d'une quinzaine de membres,
  • deux réviseurs des comptes.

La commission scientifique siège une à deux fois par an. Les problèmes de nature technique sont discutés en plénum. Des expertises individuelles ou le travail fourni dans des sous-commissions fournissent une base solide et bien documentée au débat. L'assemblée générale se tient une fois par année, généralement à la fin de l'hiver.

D'emblée le CNSGB comporte 68 membres, la plupart collectifs, dont 16 membres de la commission scientifique. C'est un bond en avant par rapport à l'ancienne Commission des barrages. Le nouveau lien créé avec l'industrie permet de mieux s'affirmer, en particulier à l'étranger. C'est ainsi que l'on verra un pavillon suisse à l'exposition technique se déroulant lors du Congrès CIGB de New Delhi (1951), événement apparemment sans lendemain! La Suisse, épargnée par la seconde guerre mondiale, est sujette à un essor économique d'envergure. De nombreux aménagements hydroélectriques sont en projet ou en voie d'être réalisés. Mentionnons ici la Grande-Dixence, Mauvoisin, l'aménagement de la Gougra (Moiry, Tourtemagne), Göscheneralp, ceux de Hinterrhein (Sufers, Valle di Lei, Bärenburg), du Val Bregaglia (Albigna) ou du Val Blenio (Luzzone, Malvaglia) pour ne citer que les plus importants.

Le problème de la vulnérabilité des barrages reste à l'ordre du jour. Une sous-commission va plus spécialement se préoccuper des effets directs et indirects des bombes sur les barrages. Le barrage à contreforts de Cleuson, de type Noetzli comme Lucendro, ne peut pas être mis en service (1950) avant que la moitié de ses alvéoles n'aient été remplies de béton. Ce sera le dernier ouvrage de ce type en Suisse.

Une autre sous-commission se préoccupe des problèmes de béton, en particulier de l'augmentation de sa résistance au gel par l'adjonction d'entraîneurs d'air, ainsi que de la limitation de la chaleur d'hydratation.

Sur le plan international, la visite en Suisse de l'importante Commission internationale du béton (une sous-commission de la CIGB) en été 1954 permet de montrer à nos hôtes étrangers plusieurs grands barrages en construction.

Le président Henri Gicot institue pour le CNSGB la tradition des excursions annuelles. Il va sans dire que l'on a et aura encore longtemps l'embarras du choix, tant les chantiers de barrages sont nombreux et variés.


Figure 3: Le barrage-voûte de Mauvoisin a été surélevé en 1989 à 1991 de 13,5 m. Il a été construit de 1951 à 1957.

3. Le grand essor des barrages suisses (1956-1969)**

La construction des barrages va connaître en Suisse un développement sans précédent durant cette période: ceci non seulement par leur nombre, mais aussi, et surtout, par l'audace et la qualité des réalisations. De nouveaux records sont battus: le barrage de Mauvoisin (237 m) est à sa mise en service (1957) le plus haut barrage-voûte du monde, la Grande-Dixence (285 m), terminée en 1961, détient à l'heure actuelle encore le record mondial de hauteur pour ce type d'ouvrage.

Les grands chantiers des Alpes suscitent l'admiration d'une large partie de la population. Cet engouement est le reflet d'une foi encore intacte dans le progrès technique. Des écrivains s'attachent à décrire la poésie des chantiers de haute montagne et le respect, mélangé de crainte, que leur inspirent ces œuvres pharaoniques (voir texte en encart).

De graves accidents à l'étranger (catastrophes de Malpasset, 1959, et de Vajont, 1964) suscitent pourtant une inquiétude compréhensible dans la population et auprès des autorités responsables. L'Office fédéral des routes et des digues, haute autorité de surveillance, demandera à ce que la stabilité des rives de chaque retenue soit attentivement examinée. La piézométrie et le réseau de drainage des fondations de plusieurs ouvrages seront aussi renforcés.

Dès le début des années 60, la Commission scientifique du CNSGB tend à déléguer les discussions d'ordre technique à des sous-commissions, appelées par la suite groupes de travail. Elle cherche, par ailleurs, à renforcer la contribution suisse auprès de la CIGB. C'est ainsi que plusieurs délégués de la commission scientifique seront appelés à siéger au sein de comités techniques internationaux, nouvellement formés par la CIGB. De plus, le besoin de faire connaître les réalisations suisses conduira à la préparation de publications de synthèse (Congrès de Rome, 1961, réunion exécutive de Lausanne, 1965). Celles-ci connaîtront un vif succès auprès des barragistes du monde entier.

Il est intéressant de relever que, déjà à cette époque, certains membres de la commission scientifique étaient fort préoccupés par le flot des contributions publiées à chaque congrès de la CIGB. A considérer le nombre moindre de volumes de comptes-rendus d'alors, on peut penser que ces préoccupations étaient pour le moins prématurées!

Barrages: une vue poétique

Extraits de Barrages, d'André Guex

... Une montagne fait penser avec terreur aux forces cachées dans les entrailles de la terre qui ont soulevé ces roches et les ont projetées contre l'azur du ciel. Un barrage donne un émerveillement toujours nouveau devant la précision lente et sûre avec laquelle il a été dressé par les hommes, devant la subtile charpente mathématique enchaînant dans le réseau de ses lignes invisibles, comme une toile d'araignée, ce poids colossal de matière...

... L'inquiétante beauté des chantiers de haute montagne n'apparaît pas à tous au premier coup d'œil. A qui pénètre pour la première fois dans ce monde hostile où des milliers d'hommes mènent leur existence, le barrage apparaît comme un défi. C'est ici en effet le règne même de la destruction. On y voit à l'œuvre toutes les forces qui tendent à éroder, à renverser ce que l'homme a fait. La glace, la neige, l'eau, la pierre, le froid et le vent sont les maîtres de ces lieux. C'est contre eux qu'il s'agit de construire un ouvrage dont le caractère le plus important doit être de servir les hommes...

(Editions Rencontre, Lausanne 1956)

En 1967 on se pose la question au sein du CNSGB de savoir dans quelle direction orienter les futures activités du Comité National. La construction de barrages devant toucher à sa fin dans une dizaine d'années en Suisse, certains pensent que l'accent devrait être mis sur le contrôle et la surveillance des barrages. D'autres, engagés dans de grandes sociétés d'ingénierie à vocation internationale, désireraient continuer à débattre essentiellement de problèmes actuels de conception et de construction, englobant non seulement les barrages en béton, mais aussi les digues en terre et enrochement, vu la fréquence de ce type d'ouvrage dans de nombreux pays.

Le congrès de Montréal (1970) donnera l'occasion aux uns et aux autres de montrer leur savoir-faire dans un ouvrage de synthèse intitulé Swiss Dam Technique.

De plus une sous-commission intitulée Observation des barrages aura vu le jour peu auparavant (1967). Ce groupe de travail, surnommé Commission Schum, du nom de son président, alors responsable de la section barrages à l'Office fédéral des routes et des digues, sera une des chevilles ouvrières du CNSGB. Elle organisera, en particulier, dès 1970 des journées d'études fort prisées des bureaux d'ingénieurs et des exploitants de barrages.

A cette même époque la procédure de consultation pour la révision du règlement sur les barrages (1969) donnera lieu à d'intenses discussions au sein de la Commission scientifique, en particulier en ce qui concerne l'alarme eau et l'effet psychologique néfaste que son installation pourrait avoir sur les riverains des cours d'eau alpestres.

Plusieurs sociétés d'électricité ayant rejoint les rangs du CNSGB, celui-ci compte à la fin des années 60 plus de 90 membres (1967: max. 93).


Figure 4: La digue de Göscheneralp de la Kraftwerk Göschenen AG vers la fin de la construction (1956 à 1960)


Figure 5: Vibrateur à béton en action sur un chantier de barrage des années 50


Figure 6: Remplissage de béton sur un chantier de galerie des années 50


Figure 7: Surélévation du barrage-voûte de Luzzone dans les années 1995/1997 (construit de 1958 à 1963) (OFIBLE)


Figure 8: Surélévation du barrage-voûte de Luzzone dans les années 1995/1997 (construit de 1958 à 1963) (OFIBLE)


Figure 9: Engins de terrassement sur le chantier de la digue de Mattmark (1961-1967)

4. Fin des grands aménagements en Suisse, chantiers à l'étranger (1970-1979)

Le début des années 70 marque un changement certain, bien que lent, dans l'opinion publique en ce qui concerne les grandes infrastructures. Celles-ci sont devenues bien souvent synonymes de bétonnage de nos paysages. Le CNSGB n'est pas inattentif à cette évolution.

Plusieurs grands aménagements de pompage-turbinage seront mis en service durant cette période. Mentionnons ici la première étape des Forces Motrices de l'Engadine (1970), l'aménagement d'Emosson (1974) et les Kraftwerke Sarganserland (1978). Dans l'ensemble, toutefois, l'exploitation des ressources hydrauliques de nos Alpes touche à sa fin. Dans certains cas on devra même renoncer à une réalisation pour des raisons écologiques (Alp Greina).

En 1971 est publié l'arrêté du Conseil Fédéral modifiant le règlement sur les barrages. Celui-ci introduit certains changements dans l'organisation de la surveillance des ouvrages. C'est la sous-commission Observation des barrages qui prend la peine d'informer les exploitants de barrages et les bureaux d'ingénieurs concernés, lors de journées d'études à Locarno. Une exposition d'instruments de mesure aura lieu en 1976 à Zurich, suivie d'un symposium à Brigue (1977) traitant des problèmes de transmission à distance des mesures.

La Commission scientifique se pose (déjà) la question de la relève des ingénieurs en barrage. Il est vrai que parmi ceux qui étaient engagés sur de grands chantiers en Suisse certains se sont tournés vers d'autres activités, par exemple dans le secteur de la route et des travaux souterrains, alors que les autres sont partis à l'étranger pour réaliser des projets de barrages pour le compte de grands bureaux helvétiques.

Cette question sera encore plus actuelle une bonne décennie plus tard, lorsque, face à la concurrence internationale, les bureaux suisses seront obligés de diminuer leurs effectifs et de les engager sur d'autres ouvrages, voire de s'en séparer.

Les progrès faits dans l'analyse dynamique des structures, la publication de cartes de risque sismique pour l'ensemble de la Suisse amèneront la commission scientifique à se préoccuper du comportement des barrages en cas de tremblement de terre. Dans une première phase un groupe de travail est constitué pour préparer des recommandations sur la mise en place d'un réseau de sismographes. L'étude demandée est achevée en 1977. Un second groupe de travail sera mis en place dès la fin des années 70 pour poursuivre ces travaux.

Sur le plan international, les activités auprès de la CIGB sont intensifiées. La Suisse est représentée dans huit, voire même neuf (1976) comités techniques. Lors des congrès de la CIGB il est fait le plus souvent usage de la possibilité de présenter des rapports dits de synthèse de la part du comité national. Les contributions individuelles sont elles aussi coordonnées par des groupes de travail ad-hoc (1973, 1976 et 1979).

En 1975, le CNSGB passe le cap des 100 membres. En 1979 il en compte déjà près de 110.


Figure 10: Le barrage-voûte de Contra de la Verzasca SA,construit de 1961 à 1965 (Photo J. Mulhauser, sept. 1964)


Figure11: Le barrage-poids de Panix des Krafkwerke Illanz AG,construit de 1985 à 1989


Figure 12: Barrage-voûte de Solis, construit de 1982 à 1986. Pont d'accès et bâtiment pour la prise d'eau, oct. 1985

5. Entretien et sécurité (1980-1998)

Au cours des années 80 une série de grands aménagements sont mis en service à l'étranger, auxquels des ingénieurs suisses ont apporté une contribution décisive: ces ouvrages ont parfois posé des problèmes nouveaux, voire insolites à nos ingénieurs, que ce soit au niveau de l'hydrologie, des conditions de fondation, des matériaux de construction ou simplement des contrats d'exécution...

Parmi les exemples les plus marquants, citons l'aménagement de Mosul (Irak), ceux de Karakaya et d'Atatürk (Turquie), celui d' El Cajón (Honduras) et enfin celui d'Alicura (Argentine). D'autres s'y ajouteront plus tard, tel celui de Zimapan (Mexique), dont l'originalité réside dans l'utilisation d'une voûte à forte courbure pour barrer une gorge très étroite aux parois pratiquement verticales.

En 1980 les sections barrages et aménagement des cours d'eau sont rattachées à l'Office fédéral de l'économie des eaux (OFEE). A cette occasion Rudoif Biedermann reprend la succession de Charles Lichtschlag, qui avait lui-même succédé à Conrad Schum en 1970, à la tête de la section barrages. La section est dotée de nouveaux moyens en personnel et en matériel, lui permettant de pleinement remplir sa tâche d'autorité de haute-surveillance sur le plan fédéral.

Rudolf Biedermann, qui a repris la conduite du groupe de travail Observation des barrages, s'attachera à organiser chaque année (sauf 1985, année du Congrès de Lausanne) des journées d'études sur des thèmes aussi variés que la géodésie, l'instrumentation, les fondations, le béton de barrage, l'entretien, pour n'en mentionner que quelques uns. Au fil de ces journées, qu'il tient à marquer de son empreinte, et à travers plusieurs publications, Rudolf Biedermann établira son concept de la sécurité des ouvrages, basé sur trois paliers: la sécurité structurale, la surveillance et le concept d'urgence.

Le système de surveillance à quatre niveaux (maître de l'ouvrage, ingénieur spécialisé, expert, autorité de haute-surveillance), déjà défini dans le règlement sur les barrages, est appliqué de façon conséquente. Le cas du barrage de Zeuzier, grande voûte endommagée par un mouvement tectonique inattendu, résultant du percement d'une galerie de reconnaissance pour un futur tunnel autoroutier, mettra en évidence la justesse du concept de surveillance adopté pour l'ensemble des barrages en Suisse.

Différents événements météorologiques conduiront à réviser la capacité d'évacuation des crues sur de nombreux ouvrages et à procéder à des modifications d'ordre constructif. Le cas le plus significatif est celui du barrage de Palagnedra, submergé par une crue (août 1978) suite à une obturation des passes d'évacuation par des troncs d'arbre et dont le pont d'accès en rive droite sera rebâti séparément de l'évacuateur de crues, permettant ainsi de garantir des passes de grand gabarit pour les crues.

Par ailleurs le CNSGB continue à se préoccuper des tremblements de terre et de leurs effets sur les barrages. Un groupe de travail reprend et poursuit le travail fait à la fin des années 70. Finalement une série d'accélérographes sera installée sur quatre grands barrages (Mauvoisin, Grande Dixence, Mattmark, Punt dal Gall/1992), afin de pouvoir mesurer sur le site même l'effet de séismes engendrés par des mouvements tectoniques de l'arc alpin.

1985 est une année particulièrement faste. C'est, en effet, celle du Congrès de la CIGB tenu à Lausanne et pour lequel un Comité d'organisation émanant du CNSGB n'aura pas ménagé ses efforts. Ceux-ci seront couronnés par un taux record de participation et un résultat financier positif... Le produit sera, après le Congrès, versé dans un fonds destiné à promouvoir la recherché dans le domaine des barrages et des ouvrages hydrauliques.

Le Congrès de Lausanne aura constitué une excellente vitrine de la technique suisse des barrages: l'ouvrage de synthèse intitulé Barrages suisses/Swiss Dams cadeau du Comité National à chaque participant, connaîtra un succès remarquable. De plus le CNSGB sera particulièrement honoré de voir le Dr Giovanni Lombardi élu à la présidence de la CIGB, une fonction auquel aucun Suisse n'avait accédé auparavant.

Les problèmes communs aux pays alpins exploitants de barrages vont conduire au resserrement des liens entre ceux-ci et, avec le concours d'autres nations (Espagne, Angleterre, pays nordiques), à la création d'un club européen des barrages. L'initiative, née après un symposium tenu à Chambéry sur la maintenance des barrages anciens (1993), suscitera la création de groupes de travail internationaux. Rapidement, le CNSGB se trouve représenté dans pas moins de six groupes de travail.

En 1995 un autre symposium européen sur la recherche et le développement dans le domaine des barrages est organisé sous le patronage du CNSGB à Crans-Montana. Puis en 1996 une manifestation semblable se tient à Stockholm sur le thème de la réparation et de la réhabilitation des barrages. En Suisse, de nouveaux groupes de travail sont créés dès 1993 pour répondre à un besoin croissant d'analyser les conditions prévalant sur nos propres barrages. Si intéressantes que soient ces activités, il n'en reste pas moins qu'elles sollicitent encore davantage que par le passé les membres du CNSGB, et ceci justement dans une période économiquement difficile pour les bureaux d'études et les maîtres d'ouvrage.

A fin 1996 le CNSGB est aussi amené à prendre position sur le nouveau projet de loi traitant de la responsabilité civile des propriétaires de barrages: tâche délicate, tant il est vrai que si le potentiel destructif d'un grand barrage est énorme, son risque de rupture est nul ou, tout au plus, infinitésimal. Il n'est donc pas possible de traiter ce problème d'après les procédés usuels des assurances. Le CNSGB considère alors que la proposition officielle présente des aspects trop contraignants et pourrait être lourde financièrement pour les exploitants.

En janvier 1997, Rudolf Biedermann, atteint par la limite d'âge, se retire de son poste de chef de la section barrages à l'Office fédéral de l'économie des eaux. Son successeur est l'un de ses collaborateurs de la première heure, Henri Pougatsch, qui reprendra aussi la présidence du groupe de travail Observation des barrages.

En 18 années le nombre de membres du CNSGB a augmenté de plus de 60 % (état en 1998: 177 membres). Cette poussée démographique est due au fait que bon nombre d'ingénieurs tiennent à devenir membres individuels, après avoir travaillé dans une grande société d'ingénierie, où ils se trouvaient sous le statut de membre collectif. Les assemblées générales, traditionnellement tenues à Berne, n'en sont que plus fréquentées et animées.

Sous-commissions et groupes de travail

Années Titre/mandat
1949-1953 Vulnérabilité des barrages
1950-1960 Problèmes actuels du béton
1950-1959 Ciments pour béton de barrages
1958-1560 Journal de barrage
1962-1965 Observations et mesures
dès 1967 Observation des barrages
1972-1977 Tremblements de terre
1979-1991 Séismes et barrages
1979-1981 Alluvionnement des retenuesv
1986-1991 Sous-pressions dans les barrages en béton
1986-1994 Brochure populaire sur les barrages
1988-2000 Béton des barrages
dès 1993 Recherche et développementv
dès 1995 Méthodes numériques
dès 1996 Fondation des barrages
dès 1999 Relations publiques


Figure 13: Barrage-voûte d'El Cajón, au Honduras, construit de 1979 à 1985 (Projet Motor-Columbus Ingenieurunternehmung AG)

6. Que nous réserve l'avenir?

A l'aube du 21ème siècle un regard vers l'avenir s'impose. S'il est certain qu'aucun grand barrage ne sera plus construit en Suisse, une série de problèmes liés au vieillissement des ouvrages actuels et à leur modification (surélévation, modernisation d'organes hydrauliques, etc.) vont se poser.

En ce qui concerne la pathologie des barrages, les problèmes liés à l'évolution du béton de masse (fluage à long terme, réaction alcali-aggrégats, lixivation) méritent d'être étudiés encore plus en détail. Il en va de même pour les problèmes de tenue des fondations avec le temps (ouverture saisonnière de fissures, développement de sous-pression, pérennité de réseaux de drainage, etc.), bien que, dans ce cas, des généralisations soient plus délicates et qu'il faille traiter presque chaque problème de façon individuelle.

Le besoin toujours plus accru de sécurité auprès de la population va conduire à la conception et à la réalisation de nouveaux ouvrages de protection, en particulier contre les crues et contre les débits charriés. Ces ouvrages peuvent, dans certains cas, atteindre des dimensions respectables et méritent d'être conçus et surveillés comme tels.

Il est important, par ailleurs, que le CNSGB continue à se préoccuper de techniques de construction utilisées sur de nouveaux barrages (par exemple béton compacté au rouleau, étanchement de bassins par membranes, produits bitumineux, utilisation de résines époxy, procédés de refroidissement des bétons, etc.) et échange des informations et expériences sur le plan international.

La libéralisation du secteur de la production électrique et l'introduction progressive de la libre concurrence sur ce marché risquent de conduire à une réduction des moyens disponibles pour la surveillance et l'entretien des ouvrages.' Il s'agira là de veiller à ce que des dispositions qui ont fait leur preuve jusqu'à présent ne soient pas relâchées, voire abandonnées.

Finalement le CNSGB aura à se préoccuper du recrutement et de la formation de nouveaux spécialistes en barrages, que ce soit au niveau de la conception, de la surveillance ou de l'entretien des grands ouvrages complexes que constituent les barrages.

Ces multiples tâches passionnantes devraient justifier l'existence du CNSGB bien au-delà du début de ce nouveau siècle.

Adresse de l'auteur : Marc Balissat, ing. civil EPFL/SIA, Stucky Ingénieurs-Conseils SA, 33 rue du Lac, case postale, CH-1020 Renens, e-mail:marc.balissat@stucky.ch


Figure 14: L'aménagement à buts multiples d'Atatürk, en Turquie, construit de 1983 à 1993 (Projet Electrowatt Ingenieurunternehmung AG)


Figure 15: Le barrage-voûte de Zimapan, au Mexique, ferme une gorge très étroite aux parois presque verticales (Projet Bureau Lombardi SA)